Chasse du 16 Septembre 2011
Cette passion qui nous anime, nous, chasseurs d’orages, a l’inconvénient de nous placer dans des situations sociales délicates. Là où le supporter de football… non, pardon, prenons un exemple moins cliché et moins à-même de créer des tensions dans le lectorat : là où le chineur invétéré pourra avertir à l’avance sa moitié de son intention de passer l’intégralité du week-end prochain aux fameuses brocantes de Haute-Garonne (qui à l’honneur de compter le plus de manifestations de ce genre en France selon vide-greniers.org, félicitations à eux!), le traqueur de foudre se trouvera confronté bien souvent à la survenue inopinée d’un orage coïncidant avec un dîner en famille ou une soirée entre amis. Se pose alors le cas de conscience d’être un bon ami, frère, mari, employé – que sais-je encore – en tenant les obligations initialement planifiées, ou bien de tout plaquer à la dernière minute pour s’adonner corps et âme à la communion avec dame nature. Je n’ai pas de statistiques quant aux nombres de couples brisés par le départ en trombe de l’un des protagonistes au milieu du repas anniversaire, mais nul doute que le pourcentage est élevé.
Sans aller jusqu’à ce niveau d’engagement, ma soirée du 16 Septembre dernier était en principe vouée au partage entre amis d’un breuvage bien frais devant un match du Championnat d’Europe de Basket. J’étais toutefois depuis plusieurs conscient du risque orageux pesant sur la région Lyonnaise. Mais peu emballé par le déroulement de la situation météorologique au cours de la journée, j’en venais à hésiter fortement sur le fait de partir m’installer sur le terrain. L’après-midi passant, les averses qui parsemaient le centre du Pays ne prenaient aucune ampleur et la vigueur de la dégradation orageuse envisagée n’était nullement au rendez-vous. Tout en surveillant attentivement l’évolution de ces petites tâches sur les radars de précipitation, j’envisageais de bientôt rejoindre mes compagnons basketteurs pour soutenir l’équipe de France en demi-finale. L’heure du rendez-vous approchait. Pour garder toutes les chances de mon côté et ne pas répéter les erreurs de la fois dernière, je décidais de me déplacer uniquement en voiture, quitte à garer celle-ci à l’intérieur du bar et à rester au volant pour pouvoir déguerpir au moindre sursaut du ciel. Les embouteillages Lyonnais que je commençais désormais à cerner me laissaient l’opportunité d’hésiter encore pendant de longues minutes, de guetter sur mon téléphone le moindre signe avant-coureur d’une éventuelle activité foudroyante. L’écran affichait toujours des averses moribondes à l’Ouest du département… mais l’une d’entre elles semblait prendre un léger embonpoint, dans la région de Saint-Etienne. Tel un flash-back cinématographique, défilèrent alors très rapidement dans ma tête les images en noir et blanc de tous ces beaux orages ayant pris naissance sur le bassin Stéphanois lors de la saison 2011. Oui mais que se passera-t-il si je tente ce coup de poker fondé sur un feeling peu rationnel et que j’échange une sympathique soirée festive contre une soirée gaspillage d’essence et déprime dans la campagne? Mais que se passera-t-il si je choisissais plutôt d’aller m’attabler en ville avant de me rendre compte qu’un bel orage s’est finalement activé sur la zone que j’avais repérée et qu’il est trop tard pour y aller? Essayez de vous poser ces questions quand vous n’êtes plus qu’à cent mètres du carrefour décisif, de la bretelle d’autoroute qui mène vers le Sud, lorsqu’il ne vous reste que 4 secondes et demi pour prendre le choix qui déterminera la qualité de votre soirée. Malgré mon profond désamour des choix cruciaux, foncer dans le terre-plein central n’était pas une option et je donnais un brusque coup de volant pour grimper sur l’A6 en direction de Vienne.
Heureusement, il n’aura fallu que quelques minutes pour que je sois conforté dans ma décision et qu’un véritable orage s’active nettement sur les monts du Forez. J’en apercevais même déjà les rideaux de pluie, et était en bonne voie pour me positionner sur sa trajectoire. Dans l’espoir de me placer idéalement par rapport à son avancée, je quittais l’Autoroute au niveau de Vienne et grimpais sur les coteaux de la Vallée du Rhône que je ne connaissais pas parfaitement bien à cet endroit. La chance était avec moi ce soir-là et j’ai eu suffisamment de jugeote pour me diriger vers un panorama fort satisfaisant en direction de la cellule orageuse. A peine arrêtai-je ma voiture sur le bas côté que la foudre zèbre l’horizon. Les couleurs du soleil étaient encore présentes et la soirée s’annonçait finalement très intéressante ! A ce moment, j’étais déjà fier d’avoir su gérer avec autant de précision mon positionnement.
Alors que le foudroiement devenait très régulier et localisé dans la partie Sud de l’orage, une décharge beaucoup plus proche me surpris en venant frapper les hauteurs de Givors :
La zone active de l’orage s’avançait indéniablement et me gratifiait de manifestations électriques de plus en plus visibles.
Quelques minutes plus tard, un éclair s’abattait directement dans la vallée, laissant à penser que certains habitants auraient des acouphènes pendant quelques jours.
Bien que progressant à une allure raisonnable, l’orage était désormais très proche, et certains impacts me surprirent en tombant à ma droite sous une base nouvellement organisée. Les premières gouttes touchaient le sol et furent suivies rapidement de quelques millions d’autres. Même depuis l’intérieur de la voiture, la prise de photo est rendue très difficile. Comme l’orage restait particulièrement bien isolé et délimité, j’eus pour ambition de prendre la route et d’aller contourner la pointe du système en espérant y observer de jolies choses. Me voici à rouler vers le Sud en pensant naïvement pouvoir quitter le noyau actif de l’orage au bout de quelques minutes. De façon également très optimiste, je fis un arrêt rapide juste au dessus du centre-ville de Vienne, dans l’idée de photographier la foudre sur la ville. C’était un peu trop demander alors qu’un vrai déluge s’abattait sur moi. Admettant que les grêlons sont plus jolis vu de l’intérieur de la voiture que quand ils rebondissent sur mon crâne, je regagnai immédiatement le véhicule et m’engageai dans l’opération « extraction du noyau ». Contre toute attente, j’aurais passé plus d’une demi-heure sous des pluies diluviennes et des grêlons de taille raisonnable. Il semblerait que j’ai accompagné le noyau dur dans sa propagation vers le Sud-Est plus que je ne l’ai évité. Soudainement, je parvins toutefois à me retrouver à l’arrière de l’orage et se produit alors ce que j’avais espéré. De biens jolis « spiders » illuminent la cellule. Ces éclairs rampent comme de vilaines araignées :
Mais… ne sont-ce pas des nouveaux flashs orageux que j’aperçois à mon Ouest? En effet, une nouvelle cellule relativement électrique se dirigeait droit vers moi! J’eus seulement à pivoter l’appareil photo pour saisir ce coup de foudre sous des bases menaçantes :
Dommage que l’activité de cette orage resta majoritairement intra-nuageuse et bien peu saisissable.
Je l’observai passer tranquillement au dessus de moi puis s’éloigner sans me donner d’autres coups de foudre intéressants. Tandis qu’à l’Est les lueurs de la première cellule ne faiblissaient pas, je me dis à cet instant que ma soirée était probablement terminée et que j’allais pouvoir sereinement rentrer chez moi non sans m’être renseigné sur la victoire de la France face à la Russie. J’avais donc fait tous les bons choix ce soir, et la chasse s’était déroulée de la façon la plus simple qui soit (une fois n’est pas coutume!). Qui aurait cru que j’allais en fait, quelques minutes plus tard, prendre une nouvelle décision salvatrice?
L’estomac se faisant gargouillant, j’avoue avoir perdu l’espace d’un instant la concentration nécessaire au fait d’annoncer officiellement la fin des hostilités orageuses. Situé à trente kilomètres au Sud-Est de Vienne, je rêvais déjà d’un magnifique repas industriel dégusté sur le parking glauque de la marque au grand M. Alors je m’empressais de reprendre la route tortueuse par laquelle j’étais arrivé, jusqu’à ce que frappé d’un élan de lucidité, je ne me penche plus sérieusement sur les toutes petites averses qui persistaient sur les reliefs Ardéchois. Et si ces petits machins décidaient de s’activer en parvenant sur la vallée du Rhône? Hop, demi-tour, pour attraper la départementale direction plein Ouest. J’atterrissais par un nouveau miracle devant un point de vue totalement dégagé qui m’était inconnu. L’air était encore humide et plutôt chaud alors même que le premier orage avait déjà balayé cette zone. Derrière moi, la Lune est réapparue et mettait en lumière une instabilité marquée. Bingo !
Une cellule s’était déclenchée juste devant ma position et m’offrit une activité électrique très espacée (4 éclairs sur 20 minutes) mais tout à fait appréciable, à l’image de ce complexe inter-nuageux, suivi d’un double coup de foudre à quelques kilomètres :
Largement de quoi justifier le détour de quelques encablures et me rassurer quelque peu dans ma capacité à « sentir » les potentiels orageux après une année de chasse bien laborieuse !
Suite à ce double impact, ça en sera réellement fini de la soirée, pour laquelle je ne pouvais exprimer aucun regret, si ce n’est celui d’avoir dû sacrifier un moment sympathique entre amis. Tout ça pour dire à ceux qui me lisent et que j’ai peut-être déjà laissé en plan par le passé que ce n’est jamais de gaieté de cœur et encore moins une excuse bidon pour m’échapper d’un quelconque engagement envers des activités dont je ne fus pas l’instigateur. Bon, ok, j’avoue, pour les soirées Karaoké ça reste mon excuse préférée !
Leave a reply