Chasse du 22 Juin 2016
S‘il y a bien une chose que j’apprécie nettement plus que les vieilles chansons françaises (non, ça ne se bonifie pas avec le temps !), ce sont les orages de Juin. Ceux qui marquent l’entrée dans l’été météorologique français, et l’approche d’un solstice d’été où les journées sont longues – et chaudes avec un peu de chance. Et s’il y a bien une chose qu’on n’avait pas vu depuis longtemps en ce Juin 2016 dans le nord du pays, c’était la chaleur. Alors quand une soudaine petite pulsion de la dite chaleur se décide enfin à venir déferler sur ces régions, on renfile son sourire et on surveille les cartes d’instabilité atmosphérique.
Au fil des jours qui précédèrent l’événement, les modèles météo faisaient preuve d’une certaine régularité dans leurs prévisions. Une perturbation devait venir lécher les côtes du nord-ouest et déclencher des orages intenses entre Basse-Normandie et Nord-Pas-de-Calais, à la rencontre de l’air chaud. Jusqu’au jour J, tout paraissait idéal pour une session de chasse remarquable. Je choisissais de prendre la direction de la Seine-Maritime, confiant.
Dans l’après-midi du 22 Juin, les premiers cumulus semblent converger comme prévu vers le nord de la Seine-Maritime. Je conduis jusqu’à ma cible du jour, Yvetôt, et y assiste à l’éclosion d’une première averse prometteuse. L’accompagnant dans sa remontée vers le Nord, je bave à la vue d’une base nuageuse compacte et d’une convection encourageante.
Et là, c’est le drame ! Le semblant d’orage s’effondre soudainement, après n’avoir lâché que quelques gouttes moribondes. A l’arrière, le ciel est beaucoup plus plat. Un voile nuageux arrive par le sud. Je consulte la situation en temps réel sur mon smartphone et me rends compte qu’une longue bande pluvieuse s’étend des Pays de la Loire jusqu’au Bassin Parisien. Cette zone rafraîchissante n’était pas prévue et il semble que ce soit elle qui joue les trouble-fête. Heureusement, tout n’est pas perdu puisqu’une seconde vague orageuse devrait se déclencher en soirée sur la Manche à la faveur de forçages atmosphériques plus costauds.
Les heures avancent, et moi aussi. Je suis le soleil vers l’ouest et fini par atteindre le bout du monde. Me voici le long des falaises normandes, quelques kilomètres au sud d’Etretat. Ce point de vue repéré quelques instants plus tôt sur mon téléphone me semble tout à fait disposé à accueillir dans les meilleures conditions quelconque manifestation électrique nocturne. Au fond de l’image, derrière la brume, c’est le Calvados. De là sont sensés se former les orages à la nuit tombée…
Mon espoir décuple et je commence à fantasmer mes futurs clichés (erreur !). L’attente est en effet très longue avant que les choses ne s’activent véritablement. Après la déception de l’après-midi, des inquiétudes naissent quant au déroulé de la nuit à venir. Je passe quelques heures à visiter les villages environnants…
Plus au nord, sur la mer, un orage finit pourtant par exploser au crépuscule. Situé à une bonne cinquantaine de kilomètres, il remonte vers l’Angleterre en clignotant de plus en plus fort. Je sors enfin le trépied et shoote dans sa direction, profitant qu’il soit quelques minutes encore dans l’Union Européenne (#Brexit). Le ciel est encombré devant moi et la structure du cumulonimbus n’est que peu visible, mais il me gratifiera quand même d’un beau coup de foudre dont la particularité est de traverser un épais bandeau de brume. On remarque alors le changement de teinte que peut produire ce genre d’air saturé en humidité sur les éclairs.
Mais ce que j’espère depuis mon arrivée ici, c’est l’approche d’un orage par le sud-ouest, venant progressivement frapper le paysage de plus en plus proche de mon objectif. Vers minuit, les choses semblent se mettre en place de façon positive. Des flashs apparaissent au loin sur le Calvados, puis même des coups de foudre sur le littoral. Un orage s’active… et il vient droit vers moi !
Il se rapproche lentement mais sûrement. Le vent est à l’est sur ma position, ce qui est de bon augure pour la santé de cette cellule orageuse. Pour ma santé aussi, tant l’air est doux pour une soirée normande.
Mais contre toute attente, c’est l’échec ! Cet orage décide de crever alors qu’il passait en face du Havre. Un rideau de pluie persiste mais je ne vois plus d’éclair en sortir. Un peu plus à l’ouest en revanche, on sent que d’autres orages explosent. L’horizon commence à scintiller de toute part. Il est 2 heures du matin et les éléments s’emballent.
La nouvelle cellule qui s’approche semble dotée d’une activité électrique autrement plus impressionnante que sa prédécesseuse. Mais des pluies résiduelles m’empêchent de rester à l’extérieur. Je dois à plusieurs reprises remballer le matériel dans la voiture. Entre deux heures et trois heures du matin, je vais joyeusement faire quatre aller-retour entre ma voiture et le petit lopin de terre qui accueille au mieux mon appareil photo, cinquante mètres plus loin. Après environ douze chutes évitées, je décide de ne plus prendre de risque et installe mon appareil à l’intérieur de la voiture au dessus du siège passager. Positionnant le véhicule stratégiquement au milieu de cette route heureusement peu passagère à une heure si avancée, je sais que je pourrai photographier en tout quiétude. A condition qu’il n’y ait pas de vent d’ouest. Le nouvel orage se rapproche nettement et malgré la pluie sur mon point de vue, je peux capturer la foudre sur la mer :
Notez la base nuageuse bien sombre et bien large. C’était un beau spécimen…
Et cet orage est encore suivi d’un autre. Le ciel s’illumine plusieurs fois par seconde. Quel spectacle !
La majeure partie des éclairs ont lieu à l’intérieur du nuage, mais régulièrement la foudre s’abat et manque de peu les bateaux au large du port du Havre-Antifer. A voir le canal lumineux si rectiligne, on comprend qu’il s’agit d’éclairs dits « positifs ».
D’autres observateurs auront d’ailleurs qualifié cet orage de supercellule. La foudre positive est une caractéristique souvent associée à ce genre d’orage mais je dois dire que je n’ai pas noté de zone rotative marquée sous cette cellule. Il est vrai toutefois que je n’avais pas une vision complète du ciel depuis l’intérieur de la voiture… En tout cas, la structure nuageuse n’était pas inintéressante du tout !
L’orage me tangente à quelques kilomètres mais ne sera pas décidé à m’offrir des impacts vraiment proches comme je les avais rêvé quelques heures auparavant. Jusqu’à quatre heures du matin passés, le ciel continue d’être illuminé dans toutes les directions, du Cotentin jusqu’en direction de l’Angleterre. Je profite de la scène avec les yeux avant de regagner ma couchette grand luxe sous forme de siège automobile.
Le lendemain s’annonce en effet comme une belle journée sur la même zone et il serait idiot de rentrer chez soi après tant d’efforts ! Et des efforts, je vais en faire encore un paquet le 23 Juin pour comprendre comment la situation orageuse allait s’orchestrer. Me positionnant dans un premier temps dans l’Eure et testant à nouveau ma patience, je remarque progressivement que la zone de convergence des vents se situe plus à l’est que ce qui était envisagé. La chaleur et l’humidité sont bien présentes sur le nord du Pays mais je ne peux malheureusement me permettre de trop rouler en cette journée et lorsque des énormes orages se forment en fin d’après-midi sur l’Oise, je suis de toute façon encore bien trop à l’ouest pour espérer les rattraper. Dépité, je prends la direction de la région parisienne.
Après quelques minutes, je constate que des nuages bourgeonnants assez solides ne sont pas si loin que ça. Une cellule orageuse semble vouloir germer sur les Yvelines. Tout n’est peut-être pas perdu ! Sur l’autoroute A15, je peux rapidement dépasser cette zone d’instabilité et me positionner sur son bord est. Retrouvant une chaleur tropicale, j’observe une belle base parfois laminaire.
Mon défi désormais : accompagner l’orage alors qu’il s’apprête à survoler Mantes-la-Jolie. Ou espérer rouler à 70km/h de moyenne en heure de pointe dans la grande banlieue parisienne…
L’orage se renforce et devient vraiment très esthétique ! Mais je suis bloqué dans le traffic avec une impossibilité totale de m’arrêter. La vue est toujours obstruée par des arbres ou des Bricorama… Je fulmine dans la voiture. Pour tout dire, la seule photo de témoignage que je réussirai durant cette heure aura été prise avec mon téléphone portable au volant :
Lorsque enfin je parviens à sortir de la vallée et me retrouver dans les champs, je constate que dans mon dos, un reste de soucoupe vit ses dernières minutes. Il s’agit là d’un nuage-mur en déliquescence sur une cellule distincte de celle que je suivais.
La mienne, là voici ci-dessous. Un peu fouillis à cet instant. Il semblerait qu’un premier mésocyclone présent sur la gauche se soit délité et que l’alimentation de l’orage se fasse désormais un peu plus au nord. Encore un peu plus loin de moi…
Je continue à rouler tout en étant conscient que je suis probablement déjà définitivement débordé par un orage au déplacement très rapide. C’est l’occasion toutefois de découvrir des points de vue dans ma nouvelle région de chasse…
En quelques instants, le puissant cumulonimbus me fuit. Sans aucun espoir de le rattraper, je me contente d’admirer la très puissante convection à son arrière. A tel point que c’est un festival de pileus venant coiffer les zones d’ascendances.
Alors que les gros orages plus au nord s’apprêtent à atteindre la Belgique après avoir fait quelques dégâts à Saint-Quentin notamment, je dois accepter mon sort et la fin prématurée d’une journée qui s’annonçait autrement plus plaisante. Deux semaines après mon retour des Etats-Unis, il est difficile de faire à nouveau face à ces situations orageuses délicates à chasser. Là où les lignes droites du Kansas auraient suffit à rattraper notre retard, les attroupements de Renault Mégane aux abords d’Auchan ont été fatales à ma progression. Certains paysages normands auront su toutefois compenser ma frustration de n’observer que des « orages français ». Mais j’ose espérer que la suite de l’été m’offrira mieux que cette sortie moyennement réussie.
2 Comments
Et comme dirait Vincent, la photo 8 envoie du pâté !!!! Superbe ambiance et l’écrit donne tout autant du relief aux photos.
Chris
Superbe récit et les photos nous donnent envie d’y être !