Au cours de la série « Rendez-Vous in Tornado Alley », on vous emmène dans les coulisses d’une chasse à la tornade. Comme vous avez l’air d’apprécier les coulisses, voici les coulisses d’un épisode de RDVTA. Les coulisses des coulisses en somme.
Exactement Léo, et c’est parfois un cauchemar…
1 : LE DERUSHAGE
En vidéo, on appelle « rushes » (« rush » au singulier) tout ce qui sort de la caméra ou d’un enregistreur audio. Ainsi, l’on pourra dire par exemple que « Fichtre ! On a tourné encore six heures de rushes aujourd’hui les gars ! ». Avant de s’attaquer au montage d’un épisode, il est évidemment nécessaire de prendre connaissance des images disponibles. Cela signifie regarder l’intégralité des clips en question, et en profiter pour faire un premier tri sélectif des déchets ou bien pour placer des marqueurs aux endroits vraiment dignes d’intérêt.
Sur le tournage de la saison 3, nous étions équipés au total de 6 boîtiers photo Canon, ainsi que de quatre caméras GoPro. Autant de sources vidéo qui furent complétées par un enregistreur audio multi-pistes, permettant de capturer indépendamment les sons des quatres chasseurs via des micros-cravate sans fil. Puisque la vidéo et l’audio étaient séparés, l’une des premières tâches aura été de resynchroniser manuellement les pistes audio avec les enregistrements vidéo correspondants. Un travail facilité par le principe du clap, comme au cinéma, mais qui ne s’applique qu’aux rushes « continus », tels que ceux obtenus avec les GoPro dans l’habitacle. Pour les courtes vidéos tournées dans l’action avec les appareils photo, il est impossible de procéder à un clap à chaque fois, et il faudra donc synchroniser « à l’oreille » au fur et à mesure du montage, en fouillant dans les fichiers audio. Au total, ce sont 15 000 fichiers informatiques qui sont en stock pour chacune des saisons 2 et 3.
Lors d’une bonne journée de chasse, et sauf problème technique, on considère que les GoPro auront filmé pendant au moins six heures, et parfois jusqu’à huit ou neuf heures. Les rushes capturés à l’aide des appareils de chacun représentent, eux, entre trois et six heures de vidéo par jour en moyenne. Faites le calcul, et vous obtenez déjà le temps qu’il faut pour visionner entièrement la récolte d’une seule chasse. Doublez ce résultat afin de prendre en compte les rangements de fichiers, annotations diverses, et crises d’urticaires lorsque vous cherchez désespérément un bel impact de foudre proche dans une séquence statique de 30 minutes (il est à 29’30 en général), et vous êtes proche du temps de travail nécessaire pour cette première étape.
2 : LE DÉCOUPAGE DES INTERVIEWS
Raconter une histoire, notre histoire, ce n’est pas seulement mettre bout à bout nos plus belles prises orageuses et un ou deux couchers de soleil pour faire joli. La chasse est un condensé d’interactions dans la voiture et de décisions plus ou moins judicieuses, qui n’ont pour autre but que la création d’émotions heureuses sur nos visages mal rasés. Le procédé des « interviews récit » répond à ce besoin de raconter l’histoire humaine en plus de l’histoire météorologique. C’est aussi un outil indispensable pour créer du lien entre chaque session de chasse et remplacer les zones d’ombres dues par exemple à l’impossibilité de filmer un moment précis ou bien à la fainéantise des cadreurs.
Une partie des interviews sont tournées sur le terrain, aux Etats-Unis, pour obtenir des réactions à chaud et avec une mémoire la plus efficace possible. Mais par manque de temps, l’autre moitié est réalisée en France, au retour. Auquel cas j’utilise l’étape du dérushage pour cibler un peu mieux les journées qui ont besoin d’être traitées. Toujours est-il que chaque séquence qui figurera au montage doit être entièrement racontée par les quatre protagonistes. C’est le seul moyen d’obtenir suffisamment de flexibilité et de rythme au montage. Comptez en moyenne une heure d’interview par personne et par journée de chasse. Rajoutez souvent une ou deux heures pour trouver le lieu de tournage. Et une heure pour changer de lieu de tournage quand le voisin aura démarré la tondeuse ou bien que la base militaire, quelques kilomètres plus loin, aura commencé ses manœuvres aériennes.
Bon, faut pas croire, malgré ces impondérables, on se marre bien !
Au retour à la maison, nouvelle étape de synchronisation des deux caméras, puis début du dérushage des interviews. Je découpe alors les blocs vidéos en petits morceaux que je renomme en fonction des événements abordés. Histoire de m’y retrouver plus facilement ensuite.
3 : L’ECRITURE
Maintenant qu’on sait ce qu’on a été capable de filmer correctement, et qu’on a pu repérer les séquences fortes au sein du voyage, reste à réfléchir la structure des épisodes. Bien que je me sois attaché à conférer à chaque saison une construction chronologique pour respecter le déroulement du voyage, il me faut trouver un équilibre entre chaque épisode, décider des journées à ne pas garder et trouver une façon de raconter les autres. Contrairement à un travail documentaire classique, où tout est écrit minute par minute avant le tournage (si si !), je garde ici une certaine part d’improvisation, tributaire que je suis du déroulé des événements. Après avoir gribouillé mes idées pour chaque épisode sur un post-it offert par mon coiffeur à Nöel dernier, je me lance dans l’étape suivante.
4 : LE MONTAGE
On attaque ici le gros morceau : le placement et l’agencement des clips sur la ligne de temps pour faire un bon film. Je ne vais pas rentrer dans le détail car nous ne sommes pas dans un tuto du logiciel de montage, mais sachez qu’un épisode comporte selon sa complexité entre 500 et 1000 pièces de puzzle. Chaque élément représente quelques secondes de vidéo, de son, de texte, d’effet…
Ce sont les interviews qui donnent le fil rouge (orange en l’occurrence) au récit et autour desquelles j’articule les séquences « live » ou clippées en musique. Si nos interviews sont mauvaises et que l’histoire ne se raconte pas uniquement par l’image, je dois supprimer la séquence. Ou bien enregistrer une mauvaise voix off comme lors du sixième épisode de la première saison (plus jamais ça !). Un des gros challenge est de réussir à insuffler à chaque épisode une « personnalité » différente malgré le fait que chaque chasse est un éternel recommencement.
L’autre élément de base essentiel à la création d’un épisode est la musique. Il ne suffit pas de repérer une musique cool et de la poser nonchalamment sur toute la piste audio. Chaque titre doit refléter parfaitement l’ambiance des événements vécus et observés, et le montage doit ensuite utiliser au mieux les accents musicaux, les changement de rythme ou d’intensité… Cela implique parfois de faire du bricolage et des remix. Prends-en de la graine David Guetta ! Le montage en lui-même ressemble à un travail de composition musicale. Il y a des rythmes à respecter, des respirations, des crescendos… De quoi me faire moins regretter d’avoir arrêté la guitare à 8 ans.
Le générique, quant à lui, est une composition originale de Jimi Quéré, qui s’est inspiré de nos images pour créer un thème rock n’ roll entêtant.
La durée de travail de cette partie montage est toujours difficile à évaluer. C’est un processus créatif qui varie beaucoup d’un épisode à l’autre selon mon inspiration ou la difficulté des choses que j’entreprends. Mais il est raisonnable de dire qu’elle représente la plus longue étape.
5 : LES EFFETS VIDÉO
Titrages, infos à l’écran… et surtout animations radars avec positionnement géographique. Autant de valeurs ajoutées qui me semblaient intéressantes notamment pour rendre la série accessible à ceux qui n’ont aucune idée de comment fonctionne la chasse ou bien la tornade elle-même.
Malheureusement, ces animations ne sont pas pondues par des elfes pendant la nuit et je dois les construire moi-même à l’aide de plusieurs sources. Il s’agit d’abord de recréer une carte routière lisible, en utilisant un outil de développement Google qui me permet d’effacer les mentions indésirables et de modifier les couleurs. Afin de pouvoir me déplacer au sein de la carte, je vais devoir fusionner plusieurs morceaux de capture d’écran et constituer une image en très haute définition.
Pendant que Photoshop rame, j’en profite pour commander auprès du National Climatic Data Center américain, les archives radar des journées concernées par l’épisode. Des données brutes qui une fois téléchargées, seront ouvertes dans un logiciel tel que Grlevel pour enfin voir s’afficher les fameux dégradés colorés. Je dois ensuite déterminer le niveau de zoom le plus proche possible de l’échelle choisie pour ma carte Google Maps, avant d’exporter, image par image, chaque scan du radar qui apparaîtra dans l’animation finale. Ne me reste plus qu’à venir apposer mes « calques radar » sur ma carte routière au sein d’un logiciel d’effets spéciaux, puis à ajouter les éléments qui la rendent intelligible (principales villes, position de l’équipe, trajet choisi, zone de rotation de l’orage…).
Lorsque je suis venu à bout de ces grands travaux, je me lance dans les (dé)finitions. Repérer tous les mots et notions cités dans les interviews et qui nécessiteraient un texte explicatif. Et j’essaie de faire tenir ma pseudo définition sur ce fichu plan qui ne dure que quatre secondes. Deux ou trois couches de peintures par-ci par-là pour l’esthétique et l’épisode approche de son apparence finale.
6 : LE MIXAGE AUDIO
Moins populaire que le mixeur de soirées endiablées, le mixeur de film est pourtant tout aussi indispensable à l’humanité. Sans lui, la musique recouvre les dialogues et vous manquez alors les meilleures blagues de Vincent. Il y a donc d’abord cette nécessité d’équilibrer les niveaux audio des différentes sources (jusqu’à 5 ou 6 en simultané dans certains cas) pour que les sons n’interfèrent pas entre eux.
Mais il y a aussi un gros travail de nettoyage. Le vent est permanent dans la Tornado Alley, même avant que le moindre orage ne se forme. Les plans dont la piste audio est saturée par le souffle dans le micro sont de ce fait nombreux. Quand ce n’est pas le son de la voiture dans laquelle on passe relativement toute notre vie. Tout cela rend certains dialogues difficiles à comprendre. En usant de filtres et d’outils divers, on peut arriver à travailler les fréquences audio pour améliorer un son bien sale, mais je suis parfois obligé de recourir aux sous-titres, ou bien d’envisager carrément une « resonorisation » de la scène. En d’autres termes, je dois tricher ! A moi d’aller récupérer dans d’autres rushes un son de vent, d’oiseaux, de tonnerre, de camion qui passe… pour obtenir un environnement sonore le plus propre possible, et fidèle à l’original évidemment. La magie du cinéma !
On termine par un petit peu de « sound design » qui consiste à sonoriser les effets visuels. Des « bips » de télémétrie pour les textes, des sons de mouvement sur les zooms… tout ce qui permet d’habiller l’ambiance audio. A retenir pour ceux qui souhaitent se lancer dans le montage vidéo : le son est tout autant, si ce n’est plus important que l’image !
7 : L’ÉTALONNAGE
L’étalonnage est une étape très méconnue de la réalisation d’une vidéo ou d’un film. Elle est pourtant systématique et joue un grand rôle dans la perception que vous aurez des images. C’est ce qui permet d’avoir une continuité de la lumière et des couleurs tout au long de l’épisode. Avec souvent des scènes orageuses filmées depuis plusieurs point de vue, il est essentiel que vous ne soyez pas choqué à chaque changement de plan. Les différences de réglages sur nos appareils respectifs provoquent en effet des différences de colorimétrie assez flagrantes dans certains cas.
C’est à ce moment également que j’en profite pour nettoyer les images, c’est à dire réduire le grain sur les plans nocturnes si possible ou bien effacer des tâches présentes sur le capteur de l’appareil photo (loin d’être rare dans des endroits aussi poussiéreux/venteux).
Pour être franc, c’est une étape que j’ai largement négligée en saison 1, par manque d’expérience et/ou de temps.
8 : LES SOUS-TITRES
Vous n’y aviez peut-être encore jamais prêté attention, en bons francophones que vous êtes, mais des sous-titres anglais sont disponibles pour toute la série, en les activant via le bouton Youtube correspondant. En effet, c’était ma volonté dès le départ de rendre la série accessible notamment à nos collègues américains (notez que le mot « Rendezvous » est très bien compris des anglais et utilisé couramment). L’objectif a été atteint puisque près de 15% des spectateurs regardent la série depuis un pays non-francophone. Et pas seulement depuis les Etats-Unis !
Tant qu’un outil de synthèse vocale automatique n’est pas capable de gérer ça tout seul, c’est moi qui me suis collé à la réalisation des sous-titres. Avec mon anglais appris autant devant la TV qu’à l’école, je m’attelle à traduire au mieux nos échanges et à les inscrire de façon intelligible dans un fichier de sous-titres. Bien que je ne sois pas une quiche en english, il me faut parfois procéder à quelques recherches de vocabulaire ou recourir à l’assistance de quelques amis anglophones. Selon la bavardise d’un épisode, je passe entre quatre et six heures sur une traduction, sans compter les corrections ultérieures. Un autre moyen, s’il en était besoin, de connaître les dialogues par coeur.
J’invite d’ailleurs les plus anglophones d’entre vous à me signaler les erreurs s’ils en repèrent.
9 : LA MISE EN LIGNE
Ça y est, l’épisode est terminé ! On a clairement fait le plus dur, mais reste encore à assurer la mise en ligne et le service après-vente. Quand Youtube ne daigne pas planter sans raison, l’envoi de la vidéo en ligne est raisonnablement rapide. Tout juste le temps de remplir les titres et définitions, les mots clés, leurs traductions en anglais, et de préparer les publications sur les réseaux sociaux et les forums. Le moment aussi de remarquer qu’on a fait une faute d’orthographe à la douzième minute et qu’il faut donc reprendre cette étape à zéro.
Dès lors que le bébé est lâché dans la nature, je mets un point d’honneur à lire toutes vos réactions et à répondre au mieux à vos commentaires. Et vu le fonctionnement de Facebook, ce n’est pas toujours une sinécure ! Si je n’ai pas répondu, il y a plusieurs raisons possibles à cela :
10 : TROUVER LE TEMPS DE RECOMMENCER
Il peut m’arriver à certaines occasions de souhaiter renouer quelque peu avec une vie sociale avant de m’attaquer à l’épisode suivant. Figurez-vous que c’est même parfois un client qui va me confier du travail et ainsi m’enpêcher d’avancer. Quel toupet !
Heureusement, la motivation finit par revenir, ou votre patience par se tarir. Et la boucle recommence.
3 Comments
MERCI Christophe de transmettre ta passion (j’ai la meme ) :) et de nous emmener dans les »coulisses » de tes episodes !!!
Super boulot !
Je commence une formation final cut pro en septembre…..lol.
je suis parti cette année aux USA et je vous ai croiser mais impossible de vous saluer…, je connais tes deux premieres saison par coeur et j’ai hate de voir la suite de la troisième !
c’était un mois de mai phenomenal !!!!! ( la premiere fois pour moi et plus d une quinzaine de tornades et j ai meme eu le droit a une interview de CNN, LOL.
Je te souhaite bonne continuation pour la suite. ;)
P.S: je vais contribuer pour tes droits musicaux, :)
Bonjour Chris.
Y aura t’il une saison 4 de RDVTA avec Vincent, Julien et Tony ?
Merci pour ces bons moments passés devant cette série juste parfaite ! A très vite je l’espère pour la saison 4 !
Bonjour Romain, ce n’est malheureusement pas prévu pour le moment, surtout que nous ne pouvons même pas encore voyager aux Etats-Unis ce printemps pour raisons pandémiques !
Et il est de plus en plus difficile de nous réunir tous les 4, sachant que certains ont depuis fondé une famille :)
Mais il y aura de nouveaux voyages et de nouvelles vidéos, et les amis ne seront jamais bien loin !